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2. Inclusion, expériences subjectives et conditions de socialisation des enfants et adolescents "institutionnellement reconnus à Besoins Educatifs Particuliers"
Responsabilité scientifique : Amélie Courtinat-Camps
Il s’agit d’étudier, au travers du prisme du handicap et/ou des BEP (HPI, TDAH …), des processus de socialisation chez des enfants et des adolescents dans leurs rapports aux normes collectives et aux valeurs, notamment scolaires mais également familiale et environnementale.
Contexte scientifique
Ces travaux s’inscrivent dans un contexte de relative rareté des travaux sur les élèves identifiés à BEP ou en situation de handicap (en France notamment et en psychologie du développement en particulier), contrairement à l’intérêt croissant pour ce champ de recherche dans les pays scandinaves ou d’Amérique du Nord depuis plus de 20 ans. Nos études considèrent l’enfant ou l’adolescent comme auteur de son propre développement, dans une interstructuration dynamique du sujet et des institutions. Elles promeuvent une démarche collaborative dans une volonté affirmée d’associer aux différentes phases de la recherche les enfants / adolescents ainsi que leurs proches et les professionnels qui les accompagnent.
- Celle de Marie-Amélie Martin (soutenue en 2024) qui s’intéressait aux fonctions des expériences fraternelles dans la socialisation des adolescents identifiés à haut potentiel intellectuel (financement CDU) (co-direction Amélie Courtinat-Camps et Myriam de Léonardis)
- Celle de Mélanie Sulmona-Cossu (en cours) qui vise à analyser le sens de l’expérience scolaire et les conditions de socialisation des élèves de primaire identifiés TDAH (direction de thèse Amélie Courtinat-Camps)
- Celle d’Émilie Chevallier-Rodrigues (soutenue en 2016) qui visait à analyser les effets du contexte de scolarisation (CLIS, ULIS, IME) sur la construction identitaire d’enfants en situation de déficience intellectuelle (financement CDU) (co-direction de thèse : Amélie Courtinat-Camps et Myriam de Léonardis
DERNIERES RECHERCHES REALISEES
Deux recherches financées ont permis d'articuler les thématiques 1 et 2 développées dans l'équipe :
- « Sécuriser les transitions professionnelles en milieu ordinaire d'élèves de lycées professionnels en situation de handicap intellectuel et psychique en France. Les Ulis pro au cœur des dispositifs et des pratiques d'accompagnement » (resp. : V. Capdevielle et F. Savournin) (2021-2024)
- "L'orientation scolaire des élèves soutenus par le dispositif Ulis en fin de 3ème : continuités des pratiques et des représentations, discontinuités des parcours ? (TrajUlis) (2021-2024)
RESUME DE TrajUlis
Durée : 36 mois
Financement : Institut de Recherche en Santé Publique (IRESP) ; Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) ; Appel à projets 2020 « Autonomie : personnes âgées et personnes en situation de handicap ».
Responsable scientifique du projet : Hélène Buisson-Fenet, CNRS, Triangle - UMR 5206
Coordination scientifique pour le LPS-DT : Amélie Courtinat-Camps
Autres partenaires :
- Florence Savournin, coordonnatrice participante, EFTS - UMR MA 122 (Lyon)
- Marie Toullec, coordonnatrice participante, CREN - EA 2661 (Nantes)
CONTEXTE
La scolarisation des élèves en situation de handicap à l’école ordinaire s’impose depuis les années 2000 sur l’agenda politique de la plupart des pays occidentaux. En France, les travaux de la Direction de l'évaluation, du pilotage et de la prospective (DEPP) montrent qu’elle est quantitativement allée bon train, en particulier grâce à l’expansion des unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) qui concernent, depuis 2015, l’ensemble du cursus jusqu’à la fin de l'enseignement obligatoire. Cependant, les chiffres recouvrent des réalités qualitatives variées et nous disposons d’un corpus de don- nées encore très parcellaires sur les élèves scolarisés avec l'appui du dispositif Ulis. À l’échelle nationale, les performances scolaires de ces élèves commencent à faire l’objet d’une investigation plus pré- cise (DEPP, 2019) ; les données françaises de l’enquête internationale Health Behaviour in School- aged Children (HBSC) permettent également de nourrir les analyses sur le sentiment de bien-être au collège de ces élèves, et de développer la thématique de la qualité de vie à l’école (CNESCO, 2017). En revanche, à notre connaissance, aucune analyse d’ensemble sur les inégalités de trajectoires de ces élèves scolarisés avec l’appui d’un dispositif Ulis n’a encore été proposée.
OBJECTIFS
Quelques travaux récents ayant été initiés en ce sens sur les discontinuités de parcours (Bourdon, 2019, 2020), nous souhaitons creuser ce sillon en ciblant notre enquête sur le turning point que constitue, pour les élèves scolarisés en Ulis, la fin de l’enseignement obligatoire et ses suites immédiates.
Le projet TrajUlis vise ainsi à intégrer trois objectifs :
- renseigner dans une perspective longitudinale la diversité des parcours des élèves scolarisés avec l’appui d’une Ulis-collège ou d’une Ulis-lycée professionnel (continuités, ruptures, bifurcations lors de la transition vers l’au-delà de l’enseignement obligatoire)
- éclairer la variété des représentations que les jeunes comme les professionnels dans les établissements scolaires enquêtés développent à l’égard de l’orientation scolaire des élèves en situation de handicap : quelles sont leurs sources d’information, quelles significations accordent-ils à la politique d’inclusion scolaire dans son ensemble et en contexte situé, comment se l’approprient-ils, à quels arbitrages et à quels dilemmes cette appropriation donne-t-elle lieu ?
- comparer la fabrication de l’orientation des élèves Ulis entre des configurations contrastées d’établissements scolaires situés dans trois académies distinctes, pour évaluer les différences locales de régulation intermédiaire de l'enseignement secondaire inclusif.
MÉTHODOLOGIE
TrajUlis s’appuie pour ce faire sur une méthodologie mixte, combinant d’une part l’analyse de données secondaires des trois académies relatives à l'orientation des élèves Ulis à la fin du collège, et le suivi d’une cohorte d’entre eux (entretiens individuels) sur chacun des quatre établissements par académie sur 2 ans, pendant la transition fin de 3ème - post-collège ; d’autre part, une série de focus-groupes pluri-professionnels pour chacun des 12 établissements, doublée d’une série d’entretiens auprès des seuls coordonnateurs Ulis.
PRINCIPAUX RÉSULTATS
Objectif 1 : Le corpus des 173 collégiens et lycées professionnels de la base de données TrajUlis est cohérent avec les données nationales sur le profil des élèves accueillis en dispositif Ulis : on retrouve une majorité de garçons, des jeunes qui sont plus fréquemment dans des situations de vulnérabilités sociales (difficultés économiques) et familiales (monoparentalité), ainsi que des élèves qui connaissent plus souvent des retards scolaires avec des orientations dans les formations professionnelles les moins valorisées.
Cependant l’analyse longitudinale des trajectoires des élèves du corpus met en lumière à partir des entretiens menés avec les coordonnateurs, des expériences variables d’orientation selon cinq profils, depuis les « pragmatiques » (investis dans la construction de leur orientation avec une recherche d’adéquation entre leur projet, l’offre de formation et le marché du travail) jusqu’aux « déconnectés » (absence de projet professionnel, souhaits trop flous voire irréalistes). La transition que constitue l’immédiat post-collège est l’héritage à la fois d’une trajectoire de socialisation scolaire vécue comme une épreuve biographique sous le sceau du stigmate, d’une expérience souvent contrainte de canalisation des désirs, et d’une projection d’avenir sous contrôle. Partagés par ces collégiens que nous avons revus post-3ème, ces trois registres ne produisent pas cependant les mêmes effets sur leur cheminement en cours, et donnent lieu à différentes redéfinitions identitaires. Parmi les dix élèves ré-interrogés, huit ont intégré une seconde Bac Pro dont quatre ont dû redéfinir leur projet initial pour l’ajuster à leurs apprentissages. Ces dix portraits donnent plutôt à voir des parcours où les projections et les cursus finissent par s’articuler par réajustements successifs, souvent au gré des périodes de formation en entreprise à l’issue desquels les jeunes lycéens semblent se réapproprier progressivement le processus de décision que parents et enseignants ont commencé à dessiner pour eux.
Objectif 2 : Selon les acteurs professionnels, le dispositif Ulis permet aux collégiens en SH d’être des élèves comme les autres, c’est-à-dire d’apprendre à correspondre aux exigences institutionnelles. L’accompagnement à l’orientation repose ainsi sur le « principe de réalité » en ce qu’il cherche à décourager les aspirations d’avenir les moins ajustées, en les conformant aux destinées probables. Il suppose de ce fait un travail avec les collégiens pour qu’ils acceptent progressivement une formation qui, souvent, diffère des aspirations qu’ils ont pu exprimer. Les stages et mini-stages permettent de construire des perspectives de formation professionnelle pour les élèves et leur famille, mais aussi d'éprouver les dispositions des collégiens à se conformer aux exigences du monde du travail. Par ailleurs tous les professionnels des lycées rencontrés disent leurs incompréhensions des évolutions du système scolaire. Ils se disent souvent démunis pour faire progresser les élèves en SH, regrettent de manquer de temps et délèguent aux coordonnateurs d’Ulis, parfois à regret, le suivi de ces élèves. Les nombreuses modifications institutionnelles de la voie professionnelle occasionnent des pertes de repères, perturbent leurs pratiques et l’inclusion est majoritairement vue comme une nébuleuse imposée par des politiques obscures. Le rôle des coordonnateurs dans les équipes éducatives qui œuvrent au sein des établissements est considéré comme crucial. Ces 16 professionnels interrogés ne disposent pas toujours des moyens et des marges de manœuvre suffisantes pour répondre aux injonctions paradoxales de leur mission, comme le montre leur difficulté à coordonner les visions parfois divergentes des chefs d'établissement, des équipes éducatives et des familles. Les tensions entre les exigences de l’école ordinaire et les besoins spécifiques des élèves en situation de handicap ne peuvent être surmontées qu’à partir d’inventions du quotidien qui conduisent les coordonnateurs à « bricoler » l’orientation scolaire. La diversité de leurs conceptions de l’orientation s’organise en trois grands ensembles articulés à des visions de l’école inclusive et du handicap différentes, que nous avons qualifiées « d’humaniste » (accent sur l’inclusion sociale), de « pragmatique » (accent sur la diplomation) et - pour un seul d’entre eux - de « déficitariste » (accent sur l’insertion professionnelle adaptée).
L’analyse des carrières de 49 élèves souligne combien les appropriations de l’orientation diffèrent entre le collège et le lycée, selon quatre dimensions en lien avec leur expérience de l’inclusion scolaire : rôle du dispositif Ulis, sociabilité entre pairs, accompagnement familial, représentations des « métiers ». Les dix élèves ré-interrogés ne dérogent pas aux réponses déjà enregistrées auprès de leurs camarades : leur perception de la scolarité lors de cette transition collège-lycée professionnel est positive, d’autant plus satisfaisante qu’elle s’accompagne d’un suivi plus lâche par le dispositif Ulis. Au collège comme au lycée, les stages en entreprises sont plébiscités : ils confrontent à la réalité des représentations jusque là très abstraites, même s’ils ne sont pas dépourvus de déconvenues ; ils permettent de capitaliser sur des apprentissages non-académiques, pris en compte dans un type de diplomation qui valorise les compétences psycho-sociales.
Objectif 3 : Parmi les déterminants de l'orientation, la distribution spatiale de l’offre de formation apparaît prépondérante en particulier dans les établissements ruraux et en REP+. Ces établissements sont en effet confrontés à des obstacles supplémentaires : à la situation de handicap, s’ajoute le « handicap social ». On s’oriente en fonction de ce qui est disponible, en fonction de l’histoire familiale, en fonction des possibilités de transport, des moyens des familles ou à cause de filières et dispositifs implicitement dédiés (certains CAP et Ulis). Dans les équipes, le travail collaboratif est variable et l’articulation des compétences entre enseignants et chef d’établissement est fortement dépendante du type de relation qu’entretient le duo coordonnateur Ulis-chef d’établissement (Kilic, 2023). Dans certains établissements, les CE s’en remettent entièrement aux coordonnateurs, supposés être experts de l’orientation des élèves ESH. Dans d’autres, les personnels de direction (CE ou adjoint) prennent une place plus importante. La marge de manœuvre que se donnent les établissements dans l’espace d’opportunité proposé aux élèves se décline différemment, selon les orientations collectives de savoirs professionnels qui constituent autant de leviers au service de la fabrique de l’orientation. La manière dont les équipes des établissements scolaires mobilisent ces leviers produit des environnements plus ou moins « capacitants ». Face à ces logiques d’établissements à l'œuvre, les coordonnateurs donnent à voir des postures différenciées et la nature des activités qui sont les leurs ne sont pas à analyser au seul prisme de politiques académiques bien identifiées. Les coordonnateurs Ulis de collèges urbains REP+ disent rencontrer des résistances plus fortes dans leur environnement professionnel immédiat ; les coordonnateurs Ulis de collèges ruraux indiquent tenter de s’adapter à l’étroitesse du marché local ; quant aux coordonnateurs Ulis exerçant en établissements privés, ils ont plus fréquemment à faire face à des stéréotypes sur le handicap et à une culture d’établissement parfois peu inclusive. Ils soulignent unanimement le rôle central des stages dans l’orientation. Face aux limites du système éducatif, ils agissent comme des médiateurs critiques.
Les trajectoires des 173 élèves de la base de données TrajUlis témoignent d’une diversité de pratiques et d’usages d’un même dispositif Ulis, avec des interprétations personnelles, des retraductions, des ajustements par rapport aux projets initiaux. Les parcours portent aussi la marque des contextes locaux. Ils donnent à voir combien, en fonction du type d’accompagnement et du dialogue avec les parents à ce sujet, l’accent est mis sur les capacités individuelles ou sur la perception des obstacles de l’environnement. Les collégiens trouvent ainsi plus ou moins de ressources dans leur entourage (enseignants, surtout coordonnateur, mais aussi famille) pour les engager à se comporter en usagers de l’institution scolaire, à faire valoir leurs droits et composer leurs tactiques…quitte à accepter de courir certains risques immédiats (comme s’éloigner du domicile familial et de ses réseaux de proximité) pour accéder à une offre plus distante mais plus attractive.
APPORTS OU IMPACTS POTENTIELS
Si l’orientation a été très largement documentée d’une manière générale, en revanche la question des élèves en situation de handicap – en particulier ceux soutenus par une Ulis – était jusqu’alors peu investiguée. En mobilisant une méthode mixte (statistique et qualitative), en croisant les regards disciplinaires, l’étude TrajUlis articule les trois niveaux d’interprétation que sont les élèves, les professionnels et les établissements dans leur contexte.
Ses résultats invitent à mettre l’accent sur la reconnaissance professionnelle des coordonnateurs Ulis, dont la mission d’enseignant-ressource devrait prendre son plein sens par une association plus systématique à l’enseignement en classe de référence. Il conviendrait aussi que les chefs d’établissement affirment un soutien social et politique explicite des orientations inclusives de l’établissement, à commencer par leur affichage dans le projet d’établissement et l’évaluation de leurs effets sur les compétences des élèves accompagnés par l’Ulis, et plus largement sur le climat d’établissement. TrajUlis met aussi en lumière la nécessité d’une vigilance institutionnelle accrue sur la transition collège-lycée, qui constitue certes un moment de particulière vulnérabilité pour ces élèves, mais qui n’est pas sans risque pour la population scolaire dans son ensemble.
ÉTUDES ANTÉRIEURES
Durée : 36 mois
Financement : GIS- IREsP / INSERM.
Partenaires : GRHAPES (INSHEA – EA 7287)
« Etude qualitative de l’expérience de l’inclusion scolaire. Points de vue croisés d’élèves et d’enseignants » (2018-2020).
Cette recherche pluridisciplinaire associait des chercheurs en psychologie du développement et en sciences de l’éducation. Elle s’inscrit dans une visée compréhensive des problématiques liées à l’inclusion scolaire mais aussi transformative des pratiques à partir de l’identification d’obstacles et de leviers relatifs à la participation à la vie sociale et à l’accessibilité des savoirs pour des collégiens en situation de handicap.
Durée : 24 mois
Financement : financement SFR – Recherches collaboratives
Partenaire : EFTS (UMR MA 122, UT2J).
« Les enfants à BEP de 0 à 2 ans : analyses secondaires de données longitudinales (issues de ELFE et de Génération 2011) (resp. : A. Courtinat-Camps) (2015-2017)
Durée : 24 mois
Financement : GIS- IREsP / INSERM.
Partenaire : GRHAPES (EA 7287 – INSHEA), CURAPP-ESS (UMR CNRS 7319).
« Enfants et adolescents à haut potentiel intellectuel (HPI) : identification et scolarisation » (resp. : B. Bourdin) (2014-2017)
Durée : 36 mois
Financement : Région Picardie
Partenaires : CAREF (UPJV) et LPS-DT (EA 1697).